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[Critique] Essential Killing (2010)

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Depuis maintenant 3 ans, le cinéaste polonais majeur qui dans les années 60 signa le scénario du premier long métrage de Roman Polanski, le Couteau dans l’eau au milieu d’une oeuvre qui compte pas loin d’une vingtaine de films réalisés, semble revenir aux choses sérieuses. Revenu en 2008 avec Quatre nuits avec Anna après 17 ans d’absence, il confirme sa bonne santé avec Essentiel Killing auréolé de deux prix majeurs à la dernière Mostra (grand prix spécial du jury et coupe Volpi du meilleur acteur pour Vincent Gallo). Autant le dire tout de suite, l’expérience est radicale, exigeante, extrême et donc par essence ne s’adresse pas à tous les publics. Mais pour qui se laisse prendre au jeu, Essential Killing est un objet de cinéma proprement fascinant, hypnotique et bestial. Porté par un acteur habité par son rôle halluciné, ce trip sensoriel et métaphysique étonne du début à la fin, fait flancher les certitudes et nous laisse à la fin dans un état léthargique douloureux à vivre. Non il ne plaira pas à tout le monde et c’est tant mieux! Essential Killing c’est du pur cinéma qui n’évite pas quelques légers écueils mais qui brouille les sens avec une virtuosité de chaque instant.

essential killing 1 [Critique] Essential Killing (2010)

Essential Killing est construit de façon assez binaire. Deux parties aussi distinctes sur le fond que sur la forme et qui risquent également de diviser au sein même des défenseurs du film. Le fil rouge entre les deux c’est le personnage de Mohammed glissant peu à peu vers le statut d’animal dans ce qu’il a de plus brut, celui de la bête traquée qui se trouve obligée de tuer ou d’agresser simplement pour survivre. Car Essential Killing c’est cela du début à la fin, malgré sa scission centrale, une longue, haletante et douloureuse fuite d’un homme dans un pays étranger et un milieu hostile. La seule indication est qu’il est afghan, le reste n’est que supposition qui tirent le film vers l’abstraction. Ce qui démarre comme un pur film de guerre, dans lequel ce barbu vraisemblablement terroriste allume des soldats américains au lance-roquettes avant de prendre la fuite dans un paysage aride presque surréaliste, tourne rapidement vers autre chose. Ce quelque chose sera assez conceptuel et donc forcément difficile d’accès, voire parfois too much et limite ridicule. Mais c’est le risque quand on va aussi loin.

Essential Killing est un film sur le contraste. Contraste entre l’homme et son environnement, contraste des couleurs (le jaune, le orange, le blanc, le rouge sang), contraste des courants de pensée entre les militaires et le fanatique, et le tout sous une forme quasiment mutique. C’est un des points importants du film, Mohammed ne prononcera aucun véritable mot, comme pour souligner son impossibilité à communiquer autrement que par la violence. Pourtant il n’y a pas vraiment de réflexion proprement dite sur la régression de l’humain vers la bête, comme il n’y en a pas non plus concernant l’intervention américaine en Afghanistan et en Irak, contrairement aux apparences d’un film qui pourrait passer pour engagé. Jerzy Skolimowski choisit la voie de l’aventure quasi-mystique dans ce qui s’apparente clairement à un survival. Le cinéma de genre offre des solutions magiques au cinéma d’auteur, en voilà une preuve sublime. La fuite/errance/course pour la survie de cet homme traqué nous hypnotise dès les premières images. L’expérience à laquelle nous invite le réalisateur est à peu près aussi douloureuse que ce chemin de croix qu’arpente Mohammed, jusque dans ses rencontres improbables. Et même lorsqu’elles sont grotesques comme cette scène que ruine littéralement une Emmanuelle Seigner à côté de la plaque. Qu’importe tant le voyage est sidérant par ailleurs.

essential killing 2 [Critique] Essential Killing (2010)

Si Essential Killing est si hypnotique, c’est qu’il doit beaucoup à deux éléments essentiels. Tout d’abord la mise en scène généralement chahutée de Skolimowski qui impose un aspect entre imagerie brute, âpre, dure et un onirisme décalé. Essential Killing peut difficilement être qualifié de “beau” film malgré de nombreuses scènes littéralement sublimes. On pense à quelques échappées dans les territoires d’un blanc immaculé ou toutes la première séquences et ces plans en hélicoptère qui sont incroyables. En dehors de cela, Essential Killing est brutal jusque dans sa forme, jouant pour beaucoup dans la douleur de sa vision. Mais Essential Killing c’est aussi, et presque surtout, Vincent Gallo. L’écorché insupportable tant son côté extrêmement con gâche souvent son génie pur livre une de ses plus belles prestations. Habité par son rôle, changé en animal en fuite au regard de fou, il imprime la pellicule avec une puissance phénoménale. On ne peut même pas parler du rôle d’une vie tant il a cette faculté de nous surprendre à chaque apparition, mais ça y ressemble pourtant beaucoup.

Brutal, animal, inaccessible, métaphysique, Essential Killing est un survival pas comme les autres. Pas de véritable message, simplement une oeuvre qui laisse toute la place aux perceptions sensorielles. L’homme devient un animal quand il est acculé, oui, mais après? Pas de réponse claire de la part de Jerzy Skolimowski, simplement une aventure dont on sort épuisé et endolori, comme si on avait vécu la même expérience que ce Vincent Gallo halluciné. Une belle et puissante expérience de cinéma qui ne laisse pas indemne. Une fuite vers l’inconnu comme on en voit peu. Un grand moment à vivre, malgré ses petites faiblesses.


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