Bon, alors celui-là c’est quand même du très lourd! Et pour un premier contact avec le cinéma hongrois, et bien on peut dire que c’est un sacré choc!! On trouve dans Taxidermie des images carrément dégueulasses, hautement déviantes et malsaines pour un film plus que subversif qui ne pourrait exister que par son côté choc, bien que cela en limiterait l’impact. Non c’est un film qui a des choses à dire et qui les dit sans langue de bois en mettant le peuple hongrois face à son histoire, le nez dans la merde… S’il y a bien un film qu’il vaut mieux éviter de regarder l’estomac bien rempli c’est celui-là, au risque de ne pas garder grand chose de son déjeuner. Le jeune réalisateur qui avait déjà fait une belle impression avec Hic se fait gentiment une place parmi les plus dérangés et couillus de la planète, mais avec en plus un talent dans la mise en scène assez hallucinant!
Taxidermie est construit sur 3 parties, à peu près 1/2h chacune et qui vont suivre 3 générations pour autant de périodes de l’histoire hongroise. La première s’intéresse à Morosgoványi, officier qui sert de larbin à une famille de hauts gradés qui le méprisent. Avec son bec de lièvre et ses tendances perverses, il représente la seconde guerre mondiale. L’ambiance se veut glauque et onirique, celui qu’on nommera le grand-père de cette lignée absurde s’ennuie tellement qu’il passe son temps à s’amuser avec son sexe, lui faire cracher des flammes, le tremper dans l’eau gelée ou la passer à travers un trou de l’abri dans lequel il est reclus… Personnage hautement ravagé, il se fantasme une expérience sexuelle avec la patronne tout en passant à l’acte avec un porc fraîchement découpé… C’est très très déviant mais la mise en scène raffinée et la photo très “film d’époque” imposent une ambiance assez hypnotique et fantastique.
Le temps d’une transition géniale, on entre dans la deuxième époque, celle de la Hongrie sous l’ère communiste. La photo se fait plus froide et réaliste, c’est l’époque du père, un obèse entraîné depuis l’enfance à bouffer autant qu’il peut des quantités affolantes de charcuteries et autres horreurs culinaires. Le réalisateur se moque ouvertement des nouveaux riches et de leur consommation de caviar, de la course à la performance la plus absurde… Si on n’avait pas déjà régurgité son repas, les quantités de vomi déversées dans cette partie aideront le processus. C’est tout simplement dégueulasse! De voir tous ces obèses absorber leur “nourriture” comme des champions pour ensuite tout relâcher dans leur machine à vomi est aussi déviant que terriblement drôle… mais on rit jaune quand même, en serrant les dents et la larme à l’oeil car ces personnages souffrent d’un mal de vivre effrayant. Il n’y a qu’à voir cette absurde scène de mariage où la mariée se fait prendre par le collègue qui n’arrête pas de s’empiffrer, à quelques mètres du mari qui pousse la chansonnette…
Puis au détour d’une fiente d’oiseau arrive la dernière partie, celle de la Hongrie moderne. Cette fois la photo est glaciale, clinique et c’est au fils du champion à la queue de cochon qu’on s’intéresse. Il est la honte de la famille (il est maigre) et pratique la taxidermie qu’il considère comme un art. Il s’occupe de son père devenu une sorte de Jabba the Hut débordant de son fauteuil, accablé de voir à la TV que les compétitions de bouffe sont devenues communes aux USA alors qu’il était champion mais trop en avance… le fils est à la recherche de son chef d’oeuvre, entre des animaux qu’il empaille et des foetus qu’il transforme en porte-clefs… En fait cet albynos est à la recherche d’une forme de vie éternelle obtenue par taxidermie, son oeuvre ultime…
Cette partie finit d’achever le spectateur, György Pálfi ne nous épargnant absolument rien de ses agissements! On verse dans du gore frontal vraiment à vomir dans le dernier acte jusqu’auboutiste comme jamais… En fait tout cela peut paraître carrément gratuit, dégueulasse pour le dégueulasse et choquant pour le choc. Donc il s’agit d’un film qu’on peut très bien rejeter en bloc car on y croise tout de même toutes les déviances possibles chez l’être humain et toutes les perversions possibles. Pédophilie, scatophilie, vomi, nécrophilie, mutilations… tout y passe! Mais il y a tout de même un certain recul pour qui l’accepte et permet d’y voir non seulement une réflexion sur la solitude et l’absurdité de la vie, mais aussi sur l’évolution d’un pays en perte d’identité. C’est également une étude en profondeur du rapport à la chair en tant que matière… peu ragoûtant mais impressionnant.
Que dire sinon que les acteurs tous inconnus sont formidables, tour à tour effrayants ou grotesques. Ils inspirent surtout une grande pitié vis-à-vis de leurs existences et d’une lignée abominable… Niveau mise en scène c’est du grand art, Pálfi multipliant les tours de force dans des plans séquences parfaits, des plongées vertigineuses, des gros plans ignobles et des effets de montage magnifiques. On gardera en mémoire cette scène affolante autour d’une baignoire qui voit se mêler en quelques secondes les trois générations, un livre qui devient un décor, un jet de sperme qui se transforme en constellation… du grand art plus un sens de l’humour noir très particulier qui finissent de placer le film dans une autre sphère, celle du trash outrancier dans les images qu’il montre et virtuose dans la façon de les montrer… un peu comme si David Fincher passait à la réalisation d’un scénario de Jörg Buttgereit revu par Kusturica… extrême et exubérant sur tous les niveaux, une sacrée claque dans la gueule à vrai dire!! Mais à réserver uniquement aux estomacs bien accrochés…